Albert Flohr |
Récit de Papa, Albert Flohr – né le 7 octobre 1911 à Raon L’Etape (Vosges, France) et mort le 30 mai 1976 à Genève (Suisse), sur ses évasions d'Allemagne pendant la guerre de 1939-1945
copié sur ordinateur en juillet 1995 par Claire Bärtschi-Flohr, sa fille.
Ce récit, très succinct - il y manque une foule d'anecdotes - tiré d'un vague brouillon retrouvé dans un album de photos de Maman, écrit à la demande, me semble-t-il, d'une instance officielle, ne donne pas une idée complète des récits passionnants et imagés de Papa, faits de vive-voix, à la fin d'un bon repas, lorsque nous étions tous heureux d'être ensemble.
Nous nous sommes connus, mon ami Marcel (je pense qu’il s’agit de Marcel Dougoud_cbf) et moi, au Stalag VII A de Moosburg (Hte-Bavière), fin août 1940, époque où je rentrais, état reconnu par un médecin de campagne allemand, épuisé par le travail des champs. Marcel travaillait aux cuisines du camp. Ce camp de 40 baraques de 300 places comptait donc 12000 prisonniers et c'est à l'esprit fin de quelques-uns d'entre eux que je dus de voir, un soir, épinglé à l'un de ces poteaux d'allée centrale porteur des gros hauts-parleurs radio de propagande, un petit avis : "les gars de la haute-borne ( ?_cbf), rendez-vous baraque 21".
Cette 21 était celle des cuisiniers où Marcel et d'autres distribuaient généreusement divers aliments simples chapardés aux "Fritz". Poussé par la faim et guidé par ce bon avis nous fîmes connaissance et considérant que la liberté est le premier des biens, nous résolûmes de nous évader au plus tôt.
Marcel prit la charge du ravitaillement et je m'occupai de choisir un itinéraire. L'idée de passer en Suisse par la montagne nous plaisait, comme il se doit à deux montagnards. Au dos d'un prospectus de tabac, j'avais trouvé une carte très sommaire du Tyrol bavarois et autrichien, trop sommaire, comme on le verra plus tard. Nous choisîmes de remonter l'Inn jusqu'à Landeck dans le Tyrol autrichien, puis de remonter la Paznaun Tal, gorge du délicieux torrent Trisanna, pour éviter le val de l'Inn, trop sévérement surveillé, nous semblait-il.
Il était plus simple de sortir du camp en partant en commando de travail qu'en forçant les barbelés. Marcel et ses amitiés ( ?_cbf) gastronomiques, obtinrent d'un secrétaire français de la Kommandantur de nous inscrire pour un commando le plus au sud qui fut dans la Grande Allemagne.
Et c'est comme cela que le 28 septembre 1940, nous prîmes le train puis un car à destination de Walchensee à 150 km environ du point le plus proche de la frontière Suisse.
Ce site splendide, station estivale, alors en relâche, servait de PC allemand à plusieurs commandos de haute montagne ayant pour mission de tracer des routes. En attendant notre départ à l'un de ces durs labeurs, nous fûmes employés pendant une huitaine à réaffecter l'un des grands hôtels destiné à recevoir les Allemands chassés de Bessarabie en vertu d'un marché de dupe que le Petit Hitler s'était fait servir par le Camarade Staline. Nous mîmes à profit la remise en état des lits pour soustraire de-ci de-là un tournevis, une pince coupante et autres accessoires fort utiles en ces temps de déplacements.
Nous logions, en dehors du village, au premier étage d'un vieux chalet entouré de barbelés, où chaque soir, les gardes allemands nous remisaient consciencieusement en fermant à plusieurs tours un splendide cadenas. Mais ces gardes, sans notion de réversibilité, n'avaient pas songé que sans ses gongs, la porte pivotait très silencieusement autour du cadenas. L'idée étant trouvée, la puissante poigne de Marcel mit à profit un moment d'inattention des gardes pour dévisser les semelles des gongs. Le même soir, sur les onze heures, par une pluie très forte, tout notre groupe s'évadait avec espoir de passer en Suisse.
Tout alla assez bien jusqu'à la frontière (allemande je pense. note de cbf). Etant en tenue militaire, nous circulions de nuit et nous cachions le jour.
Huit jours plus tard, nous passions à Landeck et, prenant à droite, remontions dans la montagne, la Paznaun Tal, jusqu'à Ischgl où nous nous cachâmes dans un réduit à foin. Comme nous avions remarqué qu'il était difficile de se mouvoir de nuit en montagne, nous décidâmes de partir un peu avant la fin du jour et ce fut notre perte. Au sortir d'un bois, nous nous trouvâmes brusquement en face de deux civils, dont un, sans autre explication, braqua sur nous un superbe pistolet. Deux hommes mal nourris et fatigués contre deux autres bien alimentés et reposés; la partie était inégale et nous n'eumes plus qu'à précéder ces messieurs à la douane de Mathon.
Le lendemain, après une nuit au poste de police de Ischgl, nous étions ramenés à Landeck et internés à la prison civile où nous devions rester huit jours.
La première fatigue passée, l'idée me vint de profiter de ce que la frontière n'était pas loin pour repartir immédiatement. Un de nos compagnons, nommé Ludin, de la région de Nancy, qui, comme nous, avait échoué dans sa première tentative, se trouvait là. Comme il parlait l'Allemand à peu près, et que ce brusque afflux de locataires surchargeait le seul gardien de cette prison campagnarde, Ludin distribuait la soupe par les guichets.
Les premiers jours, il accomplit cette tâche avec un compagnon allemand. Puis ensuite, seul. Comme c'était un garçon intelligent et habile, il repéra le système de verrou et constata qu'en glissant depuis la cellule une mince feuille de métal entre le cadre et la porte à la hauteur du pêne, le garde tournait consciencieusement les boutons ( ?_cbf) sans agir sur les pênes.
Il me communiqua cette découverte en deux mots en me servant la soupe et se chargea de découper dans une boîte de conserves les bandes de métal nécessaires et nous avertit de nous tenir prêts pour le lendemain après minuit.
Effectivement, le lendemain, après être sorti de sa cellule par ce moyen, notre camarade Ludin ouvrait quatre cellules avec les clés qu'il avait subtilisées. Nous sortîmes tous silencieusement de cette prison bizarrement déserte et franchissions la porte de la deuxième cour lorsque soudain nous fûmes encerclés par un groupe de soldats allemands qui nous éclaira fortement avec des torches électriques.
Après un passage à tabac en règle de quelques-uns d'entre nous, on nous fit réintégrer nos cellules. De là, par le train, nous regagnâmes le camp où l'on nous punit pour deux évasions de 21 jours de prison et de deux mois de baraque disciplinaire.
Ces délais nous menèrent à l'hiver et nous en étions réduits à attendre des jours meilleurs. De surcroît, comme anciens évadés, nous ne pouvions plus partir en commandos de travail.
Sortir par les barbelés ou par le portail central, il n'y fallait pas songer. Heureusement, il existait un collecteur d'égoût de 80 centimètres de diamètre environ qui, venant d'un camp militaire voisin, traversait le Stalag en reprenant ses détritus et débouchait 800 mètres plus loin sur la berge d'une petite rivière, affluent de l'Amper, lui-même se jetant dans l'Isaar.
Une grille à large maille obstruait le conduit au droit des barbelés du Stalag, mais l'un de nos camarades avait confectionné une fausse clé que les candidats évadés se passaient à tour de rôle.
Comme nous étions en février (1941), il était exclu de passer par les montagnes et nous avions pu nous confectionner une excellente carte de la région de Schaffhouse (Suisse) en agrandissant un fragment de carte Michelin du nord de la Suisse, venue au camp dans le paquetage d'un soldat des Frontstalag-Bar, les soldats ouvriers du camp. Nous pûmes obtenir une veste civile taillée dans une couverture très "schleu" et des pantalons golf.
Et le vendredi (sans date_cbf) vers 9 heures du soir, quelques camarades, à plat-ventre, soulevaient délicatement une plaque d'égoût un peu à l'écart et nous passions dans le trou, chaussures en main, pantalons retroussés et pieds nus. L'égoût était en effet remplis sur 30 centimètres d'excréments dans lesquels les souliers restaient pris comme des ventouses.
Cette marche courbée de 800 mètres dans cette marchandise collante et gelée fut extrêmement pénible et dura une heure et demie. Elle eut cependant un terme et nous pûmes nous laver dans la rivière - dont l'eau nous parut tiède - et nous chausser. Nous étions libres. (Papa racontait qu'une fois sortis du collecteur, ils n'avaient pas pu se redresser avant de longues minutes_cbf).
Nous avions le choix de deux gares distantes l'une et l'autre de 25 kilomètres du point où nous étions, Landshut au nord, Freising au sud. Nous fîmes choix de Landshut car nous savions que Freising était place militaire allemande. La nuit était très froide et ce fut une circonstance heureuse car nous ne serions jamais parvenus à traverser cette région marécageuse si les étangs n'avaient été fortement gelés.
Vers 5 heures du matin le samedi, nous arrivâmes à Landshut. Comme je parlais assez bien l'allemand, je pris deux billets Schnellzug avec surtaxe pour Munich et achetai un indicateur des "Reichsbahn". Notre train étant à 9 heures 15, nous fîmes en ville une interminable promenade. Enfin, l'heure vint. Nous passâmes sur le quai sans être inquiétés par deux soldats de service qui ne contrôlaient que les permissionnaires allemands. Une heure et demie plus tard, nous entrions en gare de Munich dont nous repartions vers 14 heures pour Augsburg et Ulm. Voyage sans histoire sur la plateforme d'un wagon bondé de civils et de militaires.
Nouveau changement de train à Ulm pour remonter la vallée du Danube par Sigmaringen jusqu'à Immendingen où nous avons décidé de nous arrêter. Immendingen est en effet à 28 ou 30 kilomètres de la frontière nord de Schaffhouse.
Une grande surprise nous attendait à la sortie de cette station gardée par deux "Schupo" (police). Chose étrange, ils ne demandaient leurs papiers qu'aux femmes. Une veine ça.
La nuit étant venue, nous étions plus tranquilles. Il nous suffisait de remonter un peu le cours du Danube puis de prendre à gauche la vallée d'un affluent qui prend sa source à la frontière même. Très rapidement, nous vîmes dans le lointain la lueur de Schaffhouse, cette ville qui "n'obscurcissait" pas.
Mais nous ne pûmes dans cette première nuit atteindre la frontière. La journée du dimanche dans un bois vers Riedöschingen , sous une pluie mélangée de neige, fut pénible et il nous tardait de repartir. Mais, forts de nos expériences passées, nous eûmes la patience d'attendre la nuit.
Nous passâmes vers trois heures du matin en rampant dans un champ labouré à 100 mètres du poste allemand de Neuhaus. Les douaniers suisses de Bargen nous reçûmes agréablement et nous firent écouter "la voix de Londres". Puis, après un internement de huit jours à la prison civile de Schaffhouse, nous fûmes convoyés jusqu'à Genève et remis à la frontière de notre pays, à Moillesullaz. Trois jours plus tard, nous étions démobilisés à Annecy.
Albert Flohr
Récit de Papa
|
Récit de Papa
|
Autoportrait dessiné dans la Ligne Maginot en 1939
|
Numéro d'immatriculation
|
Journal France Soir du 17 décembre 1940
|
Journal France Soir du 17 décembre 1940
|
Kommando
|
Kommando
|
Kommando
|
Kommando
|
Source:
- Courriers de Claire Bärtschi-Flohr, La Chaux-de-Fonds, Suisse,
à Moosburg Online, mai 2013, février 2015.
|